En C10 dans le tunnel du Rove
L'article de Thibault Vergoz sur l'histoire du tunnel du Rove (Chasse-Marée 299) a réveillé quelques souvenirs à André Linard. Ceux d'une sortie en 1962, lors d'un premier stage de voile : la traversée du tunnel en canoë jusqu'à la plage du Jaï sur l'étang de Berre...
En août 1962, j’effectuais mon premier stage de voile à Niolon, près de Marseille, dans l’un des centres de l’Union nautique française. [L’UNF fusionnera en 1965 avec l’Union nationale des centres de montagne, donnant ainsi naissance à l’Union nationale des centres sportifs de plein air, plus connue sous le sigle UCPA]. Cette base organisait des séjours mixtes, voile et canoë, d’une durée de deux semaines, ainsi que des stages de plongée, seule activité qui perdure sur le site. Les activités véliques se déroulaient sur Caravelle, Triton – lourd bateau collectif aujourd’hui oublié -, Vaurien et Argonaute.
L’art de la pagaie était enseigne à bord de kayaks en polyester, de canoës biplaces en bois et d’une flottille de CIO. Ces grands canoës, en bois également, sont conçus pour dix équipiers, dont un encadrant. Une randonnée de deux jours était organisée durant la seconde semaine de stage. Destination : l’étang de Berre ! On partait en balade, faisant toute confiance à
l’encadrement, sans chercher à comprendre le pourquoi du comment… Nous savions cependant qu’on allait à un certain moment emprunter un tunnel, sans autre précision, sinon qu’il fallait prévoir de quoi se couvrir.
Dans la matinée, les équipages, avec un minimum d’affaires, embarquaient à bord de quatre ou cinq CIO, et appareillaient à la pagaie, longeant la côte en direction de l’Estaque. L’escadre était accompagnée d’un bateau de sécurité assez conséquent. Il faisait beau, la mer était plate. Les CIO progressaient bien – un peu plus de deux milles séparent la calanque de Niolon de la jetée située à l’ouest de l’Estaque, protégeant les abords du fameux tunnel. Us furent ensuite pris en remorque par le bateau accompagnateur, les équipiers se tassant vers l’arrière de chaque embarcation afin d’en soulager l’étrave. Nous nous sommes ainsi laissé guider sans poser de questions.
Je n’ai pas gardé trace de l’entrée du tunnel. En revanche, je me souviens fort bien qu’à l’intérieur régnait une obscurité quasi totale. À bord du remorqueur, un moniteur éclairait à la lampe torche les bords du canal pour donner des repères au barreur. Il faisait frais et par endroits, de l’eau tombait en fine pluie de la voûte. Je ne me souviens pas de la durée totale de la traversée mais elle m’a semblé assez longue. Une fois revenus à l’air libre, il y a encore une distance assez grande à parcourir, jusqu’à pénétrer dans l’étang de Berre proprement dit. Alors, les remorques larguées, nous reprîmes les pagaies, pour rejoindre une plage de sable tranquille, assez proche du débouché. L’eau était très claire, mais peuplée de nombreuses méduses, ce qui ne nous a pas empêchés de nous baigner. Soirée feu de camp, pique-nique et bivouac, sous quelques tentes canadiennes ou directement sur le sable, sous le harcèlement des moustiques. Le lendemain matin, chacun reprenait sa place à bord de son canoë attitré. Le retour sur Niolon s’est effectué dans des conditions semblables à celles de l’aller – pagaie, remorquage, tunnel, remorquage, pagaie. Fin de la croisière…
J’ai appris, beaucoup plus tard, la mise hors service du tunnel et quelles en étaient les raisons. J’ai pris conscience que j’étais parmi les derniers à avoir vécu un moment rare, et qui ne se renouvellera pas de sitôt : celui d’avoir emprunté, et dans les deux sens, le tunnel du Rove.
André Linard, Péaule (56)
Courrier, Chasse-Marée janvier-février 2019