Caractérisation des rejets de la centrale hydroélectrique d'EDF dans l'étang de Berre
Comment s'effectuent les rejets d'eau et de limons de la centrale EDF ? Quels sont les impacts sur la salinité ?
La centrale hydroélectrique d'EDF à Saint-Chamas est la dernière des 19 centrales de la chaîne Durance-Verdon (chaîne capable de mobiliser 2GW en 10 minutes). Les eaux et limons issus des rivières Durance et Verdon sont ainsi déversés dans la lagune de l'étang de Berre en très grande quantité avec une grande variabilité dans le temps. Cette page vous présente les caractéristiques de ces rejets depuis 2005 : année moyenne, variations interannuelles et impact sur la salinité.
2004, une condamnation ferme de la France par l’Europe
On doit à la Commission des Communautés européennes d’avoir fait constater à la Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 7 octobre 2004 que la France ne respectait pas les engagements pris pour la protection de la Méditerranée (Protocole d’Athènes, 1980, Convention de Barcelone, 1976) en autorisant les rejets d’eau douce de la centrale EDF de Saint-Chamas dans l’étang de Berre. En citant à plusieurs reprises les conclusions des scientifiques émises dans le rapport du GIPREB « Bilan des connaissances, 2002 », la Cour reconnaît que ces rejets représentent une pollution massive pour l’étang de Berre et impose à l’État français de prendre des mesures correctives. Cette décision est la plus forte qui ait été prise pour l’étang de Berre. Le 19 décembre 2005, la Commission européenne adresse à l’État français une mise en demeure de faire cesser la pollution de l’étang de Berre, jugeant insuffisantes les nouvelles modalités de rejets d’EDF. Sous la menace d’une astreinte financière, en février 2006, la France répond aux injonctions des institutions européennes en proposant une régulation des apports en eau douce. Cette solution est acceptée par la Commission européenne sous couvert d’un suivi par un comité d’expert et de la Commission pour une durée de 4 ans.
Obligations relatives aux rejets des eaux
Article 17
« Le concessionnaire est autorisé à rejeter l’eau de la Durance, via le canal usinier, dans l’étang de Berre dans la limite d’un volume maximal annuel d’eau douce de 1 200 millions de mètres cubes y compris les rejets exceptionnels.»
« Afin de permettre la présence et le développement, dans l’étang de Berre, d’espèces à affinité marine caractéristiques des milieux lagunaires salés, ces rejets d’eau douce sont régulés à un rythme hebdomadaire en vue de réduire les variations de salinité. Ce volume hebdomadaire maximal ne comprend pas les rejets exceptionnels d’eau douce, effectués pour des raisons d’intérêt général, ou répondant à des objectifs de sécurité publique, notamment en cas de crue du Rhône ou de la Durance ou pour assurer la sûreté du réseau électrique.»
« Cette régulation des rejets d’eau douce devra permettre de garantir que, sur l’année, 95 % des mesures de salinité, en moyenne hebdomadaire, sont supérieures à 15 g/l et 75 % de ces mesures sont supérieures à 20 g/l. Le volume total de rejet devra permettre de respecter ces exigences. Les périodes de rejets imprévisibles et exceptionnels tels que définis précédemment pourront justifier des objectifs moins stricts de salinité.»
« Le tonnage maximal annuel de limons apportés à l’étang de Berre concomitamment au rejet d’eau est limité à 60 000 tonnes. Ce tonnage maximal ne comprend pas les rejets exceptionnels de limons, effectués pour des raisons d’intérêt général, ou répondant à des objectifs de sécurité publique, notamment en cas de crue du Rhône ou de la Durance, ou pour assurer la sécurité du réseau électrique.»
« Les rejets exceptionnels d’eau douce et de limons font l’objet tous les deux d’une comptabilisation séparée et rendue publique.»
« Sont pris en compte dans cette autorisation de rejet les objectifs de qualité pour les eaux douces fixés par les arrêtés pris en application du décret no 2005-378 du 20 avril 2005 relatif au programme national d’actions contre la pollution des milieux aquatiques par certaines substances dangereuses. La liste des substances pertinentes (celles dangereuses et celles contribuant à l’état d’eutrophisation) est précisée dans le règlement d’eau mentionné à l’article 17 bis. »
Moyenne mensuelle des débits d’eau (2005-2019) |
77.27 m 3 /s |
Moyenne mensuelle des apports de limons (2005-2019) |
4018 tonnes |
Moyenne annuelle des apports d’eau (2005-2019) |
927 millions de m 3 |
Moyenne annuelle des apports de limons (2005-2019) |
48220 tonnes |
L’année 2019 est une année très particulière pour les rejets de la centrale EDF: en cumul annuel, seulement 573.71 m3 ont été turbinés dans l’étang de Berre (plus faible valeur historique).
Ainsi, seulement 70% du quota d’eau a été turbiné (840 millions de m3 entre novembre 2018 et octobre 2019), associé à 50% du quota limons (30000 tonnes). De plus, les turbinages intenses de l’hiver 2018/2019 ont été suivis par une très longue période avec quasiment aucun apport, même durant l’automne et début d’hiver, entraînant une stabilité de la salinité à des valeurs plus conformes à une lagune méditerranéenne (28-29), et par conséquent une stratification verticale beaucoup plus faible.
Apports par la centrale EDF
Le tableau ci-dessus présente les moyennes des apports d’eau et de limons dans l’étang de Berre, sur la base des données EDF 2005-2019.
Les figures ci-dessous décrivent l’évolution depuis 2005 de ces turbinages.
Les apports d’eau annuels présentent une augmentation progressive et ont ainsi tendance à s’approcher au plus près de la valeur du quota de 1.2 milliards de m3. Ce quota a été quasi atteint en 2015, 2017 et 2018. A l’inverse, les années 2005, 2006, 2012 et 2019 sont marquées par des volumes totaux particulièrement faibles. 2019 marque une rupture dans cette tendance avec le plus faible volume turbiné historique.
Les apports de limons sont variables à l’échelle interannuelle, et ne présentent pas de tendance particulière. Certaines années se démarquent : en 2019, les apports de limons sont les plus faibles sur la période et en 2008 ce sont les plus importants.
Remarque : attention pour les interprétations ! les quotas d’EDF portent sur les “années EDF” qui vont de Novembre à Octobre. Le graphe ci-dessous présente les cumuls annuels sur une année civile (1er Janvier au 31 Décembre).
Une année moyenne de ces apports a été calculée, en établissant la moyenne, mois par mois, sur la base des données 2005 à 2018.
L’année moyenne des apports en eau montre que les plus forts turbinages se produisent durant l’hiver. Ils diminuent ensuite jusqu’à un minimum au mois d’août pour ré-augmenter durant l’automne.
L’année moyenne pour les apports en limons est différente de celle en apports d’eau. Les apports en limons les plus importants ont ainsi lieu surtout au mois d’octobre, à la reprise des turbinages, après la pause estivale. Et également dans une moindre mesure en décembre-janvier, concomitamment aux forts volumes turbinés.
Salinité dans l’étang de Berre
Les température, salinité et oxygène sont mesurées en continu à plusieurs stations de l’étang de Berre appelée SA1, SA2, et SA3 (SA2 a été démantelée en 2016). C’est la société IXSURVEY qui entretient ces stations pour EDF. Ces données servent, entre autre, à valider les contraintes réglementaires en salinité. Ce sont certaines de ces mesures qui sont affichées, en temps réel, sur la page Données en direct.
La figure ci-dessous caractérise la variation saisonnière de la salinité dans l’étang à la station SA1 (au nord) moyennée sur toute la verticale : c’est l’année moyenne, mois par mois, de la salinité sur les données 2007-2018. La salinité suit une courbe saisonnière marquée : une forte dessalure (liée aux turbinages présentés ci-dessus) se produit de janvier à mars, puis la salinité remonte progressivement pour atteindre un maximum en septembre. La salinité diminue ensuite progressivement jusqu’en décembre. Ces variations sont très bien corrélées à la courbe des apports d’eau par la centrale.
Entre 2007 et 2018, on peut noter sur la figure ci-dessous que l’année 2012, marquée par de faibles apports par la centrale EDF, présente de plus fortes valeurs de salinité. On peut également noter l’importance de l’eau marine qui rentre par le canal de Caronte et qui “tapisse” le fond de l’étang (voir par ailleurs une animation sur le sujet : page modélisation). Cette figure montre également qu’en 2018, les forts apports d’eau douce durant l’hiver et printemps (EDF, rivières et pluies), associés à des faibles vents durant l’été, ont conduit à une très forte stratification (différence entre la surface et le fond) qui s’est maintenue jusqu’en début d’été et s’est réinstallée en septembre avec une reprise précoce des turbinages. Cette stratification est une des causes de la crise écologique majeure de cette période.